Rares sont les artistes qui ont un timbre, une allure et un son reconnaissables entre mille. Yamê est de ceux-là. Du haut de sa jeune carrière, l’artiste s’est fait connaître grâce à la puissance de sa musique, largement diff usée sur les réseaux sociaux et a déjà attiré l’attention du monde entier, dont celle du légendaire producteur Timbaland (Missy Elliott, Justin Timberlake…).

« Pour changer de vie j’ai dû hausser le ton » : Yamê lâche qu’il débarque comme        « Fantassin sénégalais » dans son morceau « Bahwai ». Sa guerre virtuelle et égotripée pour devenir artiste et montrer son talent est à peine éloignée de la réalité. C’est au premier confinement qu’il commence à écrire ses premiers textes, puis lâche son travail dans la tech pour se lancer à fond dans la musique. Il sort des titres sur les réseaux (« Les Sentiments » …), où les compteurs s’affolent et où il est vite suivi par des centaines de milliers d’abonnés, fans de ses face cam où il n’est question que de brûler le micro avec une formule qui navigue à la croisée de plusieurs genres. Son passage sur la chaîne Youtube pointue et réputée “Colors” et une date parisienne sold out aux Étoiles achèvent de le consacrer comme une des révélations musicales les plus intéressantes de ces dernières années.

La musique n’est pas un hasard, tant elle a toujours été partout dans tous les recoins de sa vie. Au Cameroun d’abord où il a grandi, à l’école, où tous les élèves prennent des cours de piano ; Yamê développe un talent et un attachement particulier pour l’instrument. À la maison, ensuite, où son père, musicien émérite et reconnu, a un studio et joue, initie, crée.

Puis en France, où il vient finir son enfance, dans les jam sessions où il joint l’utile à l’agréable, sortir mais surtout faire ses gammes à l’infini, comme d’autres écument les bars ; on lui reconnaît vite un talent certain de claviériste.

Les clubs de jazz agissent comme une école, un laboratoire, où il peaufi ne son jeu, performe sur le répertoire, se donne la liberté d’expérimenter, avant de trouver définitivement sa voi(x)e.

Elowi, le nom de ce premier projet, c’est l’itinéraire d’un enfant de la diaspora africaine, grandi entre un père camerounais et une mère franco-malgache qui veut exprimer toutes ses identités. Le titre du projet même est un hommage à ce père artiste, - c’est le nom d’un de ses morceaux -. Il construit un pont entre l’Afrique et l’Europe, la spiritualité intense du continent frère, ses inconnues, multiples, mystiques (« elowi » veut dire invisible à l’œil nu, implicite). Le projet s’annonce comme une porte d’entrée dans l’univers musical foisonnant de celui chez qui tout le monde s’accorde à trouver profondeur - dans les textes - et belle hauteur - vocale et de vision artistique -. Sa voix, naturellement de tête, traversée par la vibration cristalline d’un Papa Wemba et de l’école congolaise, est panafricaine, universelle ; elle oscille entre tristesse et joie pour dire les tourments du monde et les siens, intimes.

Yamê emprunte aux codes du rap, du jazz, de la chanson, pour mieux chercher son son. Le résultat est très personnel, avec des titres forts qui ont déjà l’aura d’hymnes à la liberté, d’être et de créer. Dans le propos de l’artiste, sensible au sort du monde, il y a la fureur d’être soi, de faire connaissance, et d’emmener avec soi, celles et ceux qui sont prêts à se laisser séduire et à l’accompagner dans sa quête. Très conscient de lui-même, fier de ses spécificités de musicien au sourire singulier « Un piano, des chicots », Yamê annonce la couleur : « La maison ne prend que de très gros chèques ».

Pas là pour rigoler, il marche sur les platesbandes des rappeurs, avec lesquels il partage les mêmes aisances textuelles, l’appétit pour la langue comme dans « Mola », mot avec lequel il fraternise avec son public et qu’on a envie d’utiliser à l’envi, tout en proposant une musicalité ancrée dans les musiques noires américaines antérieures ou du continent africain. « Call of Valhalla », égo trip en contraste avec son début classieux et ses explosions trap feutrées, où il est question de liberté artistique, - « Tu ne pourras pas me canaliser », promet-il -, de courage, est un morceau de bravoure, où les saveurs jazz et rap sont savamment distillées et dosées. Dans le titre « Bécane », le motif du 2 roues lancé à tout vitesse dans la ville, se précise. « Sankara, Cheikh Anta, négro, j’ai choisi mes modèles, c’est fi able comme un moteur allemand. En indé’, sans carats, sans chico, oui je fais quer-cro bien plus que les grands de tes grands ».

Comme dans « Bahwai », Yamê file la métaphore de combat poétique. Il est question d’urgence, de danger, de liberté, d’identités encore et toujours. Les titres ont l’ampleur pour faire vivre des moments uniques sur disque et en live, et donnent des clés pour se familiariser avec l’univers et la langue yaméenne.

Des titres où l’artiste se portraiture en musicien-vocaliste qui n’a pas froid aux yeux, à l’assaut de la ville et de l’industrie musicale et qui sonnent comme des noms de jeux vidéo, un autre des motifs esthétiques de l’artiste. En Ulysse moderne, Yamê propose aux auditrices et auditeurs de faire un tour de son monde où s’harmonisent toutes les directions que prend sa musique. L’homme au diastème réussit avec un rare brio son jeu d’équilibriste et impose définitivement un univers plus que prometteur : visionnaire.